Certains diraient que j’ai pris un départ prudent (classé 489e au premier pointage, tableau 1). En réalité, j’ai réparti mon effort sur la longueur de la course (vitesse ajustée selon la pente, figure 1 ; fréquence cardiaque, figure 2). Ainsi, à Cochollon je suis dernier des douze coureurs sélectionnés dans le Strava Flyby (figure 3). En sautant les ravitaillements de Saint-Christo-en-Jarez et Sainte-Catherine, je prends la cinquième place du groupe. Mais, gêné depuis le départ par une frontale qui s’éteint et désormais né se rallume plus, je dois m’arrêter sur le sentier de la Sagne, juste avant Saint-André-la-Côte. Il faut dire que l’étroit sentier, verglacé et bordé à droite par une clôture barbelée et des orties à gauche, mérite un éclairage correct. Je perds ainsi deux minutes et vingt-deux secondes, le temps de remplacer la batterie dans l’obscurité des champs et la froideur de cette cuvette haut perchée (830 m environ).
Vient mon arrêt au ravitaillement liquide de Chaussan — Saint-Genou. Encouragé par le calme sursitaire des lieux, je présente ma gourde souple à un bénévole disponible pour me servir : celui-ci me renvoie aux fontaines où ma colère intérieure — ces 1,5 litres sont tout ce que je prévois de consommer sur les cinq ravitaillements de la course — laisse place à la satisfaction de trouver de l’eau pas trop froide. Je repars après quatre minutes et trente secondes d’arrêt et vais alors faire un joli numéro jusqu’au pont sur le Furon après la descente du bois Bouchat.
C’est alors que ma frontale s’éteint définitivement, à environ 25 km de l’arrivée — je comprendrai plus tard que le logement de la batterie est fissuré si bien que le contact né supporte plus guère la traction. Tandis que la lune est couchée, le spectre de l’abandon fait une brève apparition dans mes pensées. Malgré les vitesses qui se sont équilibrées, je passé en tête de mon échantillon d’étude à la faveur des arrêts au ravitaillement de Soucieu-en-Jarrest. Les 9,7 kilomètres qui séparent ce quatrième ravitaillement du cinquième et dernier sont pour moi un exercice de patience. Je me fais doubler de toutes parts, alors qu’à ce stade de la course c’est d’habitude moi qui “ramasse”. Outré le fait de courir dans le noir, je paye l’eau sur-javellisée que je porte depuis Chaussan et dont je né boirai que 75 cl en 3 h 24 min de course, contre 150 cl bus sur les premières 3 h 54 min de course. La prochaine fois, non seulement je contrôlerai la température de l’eau, mais je la ferai analyser par un centre spécialisé.
À Chaponost, et même si j’avais prévu les choses différemment, je prends le temps d’avaler deux pâtes de fruit, quelques quartiers d’orange, de la banane et un peu de chocolat. Cela me coûte 2 min 30 s, mais je sens mes forces revenir (figure 4). Je négocie les zones non éclairées en levant un peu les pieds, rasant parfois d’énormes blocs de granit posés au milieu du chemin, scrutant les ombres dans le noir. Sur les hauteurs de la célèbre côte de Beaunant un coureur lâche : celui-là, il est motivé ! Les zigzags du City Aventure ferment le thème Running in the dark. Vient la descente des escaliers du chemin du Courtillon, occasion unique de puiser dans le répertoire montmartrois et tordre la courbe du Strava Flyby. Un spectateur loue ma belle foulée pourtant bien amochée par les kilomètres. Je termine quatrième de la troupe virtuelle, franchissant l’arche d’arrivée dans une confusion parfaite et l’anonymat le plus complet (vidéo 1). J’aurai mangé trois gels et une barre et demie, mais la palme revient à Damien qui valide la Saintélyon sans aucun apport solide en course.
Résultat : 7 h 18 min 26 s, 139e sur 6000 inscrits, 5937 partants, 5154 arrivants (figure 7). 72,4 % de la vitesse du vainqueur Emmanuel Meyssat. Cote ITRA619 (/ 1000), soit une cote en base 1775 de 1099 (tableau 2).
Objectif personnel fixé avant la course : 7 h 12 min pour valider une moyenne de 10 km/h sur les 72 km prévus (avant débalisage et modification du tracé). Temps annoncé avant la course : entre 7 h 15 min et 7 h 20 min.
Températures : 0,3 °C à Saint-Étienne — Bouthéon à minuit loc. (mini –0,2 °C), –1,6 °C à Lyon — Bron à 7 h loc. (mini –1,9 °C).
Matériel sur moi : chaussures Salomon S-Lab Sense 3 Ultra (842 km à la fin de la course), chaussettes basses Monnet, trois-quart Gore, T-shirt manches longues Craft, gants Windstopper Gore, buff Millet (au cou), frontale Stoots MiniMax, sac à dos Salomon XT Wings 10+3.
Matériel dans le sac : veste Bonatti Salomon, batterie de rechange Stoots, couverture de survie, sifflet, gourde souple Soft reservoir1,5 l Salomon, 6 gels (3 consommés) et 2 barres bio-paléo-etc. (1,5 consommée), BCAAOVERSTIM.s.
Sac coureur : sac à chaussures CNR du Lyon Urban Trail 2016. Surpantalon Bonatti Salomon, téléphone portable, etc.
Hydratation en course : 1,5 l avec 2 sachets Punch Power Biodrink antioxydant saveur citron vert jusque Saint-Genou, puis 75 cl d’eau plate jusqu’à l’arrivée (porté 1,5 l). Ajouter 50 cl de Saint-Yorre en attente.
Entraînement : en novembre, 133 km avec 4250 m de dénivelé positif (figure 6).
Merci à toutes les lumières de cette nuit.
Montage court, sorti le 6 décembre (2 min).
Le film, sorti le 12 décembre (13 min) — je passé devant la caméra à 1 :30.
Que dire de la Saintelyon 2015, une fois que l’on s’est plaints de l’absence de Pepsi aux ravitos, remplacé par le vilain Pepsi Max ? Certains voyagent dans le bon train de la vie, celui qui n’est perturbé que par les coupures publicitaires et les files d’attentes aux aéroports. Nous autres cueillons les instants fragiles, collectionnons des souvenirs arrachés avec nos propres mains. Un lever de lune rouge à l’est, au dernier croissant, dans le dos un chapelet de frontales qui s’étire sur l’échine de la terre de ses aïeux, à son côté un collègue et ami, au loin, les lumières de la ville de son enfance. Mais c’est à l’intérieur que je regarde. Je pense à toi qui né comprends pas pourquoi je porte ce dossard chasuble. Tu t’imagines que seule la lenteur permet d’extraire le présent, qu’un esprit de compétition m’animé, qu’en vérité nous sommes différents. Plus loin, j’entends la voix de ceux qui m’envient d’être “né pour courir”, de pouvoir expédier soixante-douze kilomètres en chaussures minimalistes sans m’être infligé la moindre sortie longue dans les trois mois qui ont précédé l’épreuve, de me classer dans les premiers six pour cent en affichant deux maigres entraînements par semaine sur une butte que personne n’ose plus appeler montagne. À vous, si seulement je vous disais tout, vous vous lèveriez et partiriez courir à travers les continents.
Revenons à ce départ, presque sous l’arche, où le chant de la foule côtoie le silence de la nuit. Revenons à la légèreté de nos pas qui nous emmènent, déjà, sur les hauts de Sorbiers ou du Signal. Si l’absence de neige et verglas né m’avantage pas, je me plais à courir sur cet improbable velours de terre sèche déserté par les cailloux — et les pavés. Bientôt, Damien m’annonce qu’il souffre de crampes, qu’il né peut avaler le comprimé de Sporténine que je lui tends. En vue de Soucieu-en-Jarrest, où il s’arrêtera, je suis seul. Il reste vingt kilomètres. À Sainte-Catherine, la nuit est encore bien installée ; ici, elle organise sa retraite. Je rassemble mes pensées avant de dévaler la montée (sic) du Grapillon, pourrais verser une larme de bonheur dans les eaux de la Saôné que le jour naissant a déjà inondé d’un bleu intense. À plus de seize kilomètres à l’heure, je pénètre dans la halle Tony Garnier, autrefois surnommé Palais de l’industrie, comme on entre dans la gueule d’un monstre. La ligne d’arrivée franchie, je suis projeté dans un labyrinthe de barrières de sécurité, mais retrouve mon père, Sarah, puis Damien. En quittant ce que les espaces parcourus conviendront d’appeler réduit, brusquement rattrapé par la progression du Soleil, il me revient cette phrase déposée par Erri de Luca dans Le jour avant le bonheur : “Dehors, c’était un jour brillant, un jour de mai tombé dans le tas de décembre.”
Classement : 296e sur 5323 arrivants, 6020 partants et 6500 inscrits.
Pourcentage de la cote de Benoît Cori en 2015 et 2013 : 68,19 et 69,91 %, ce qui à performances égales aurait donné 7 h 20 min 6 s en 2015.
Pourcentage du temps du plus rapide coureur solo [Nom(s)] de chaque section (entre parenthèses le pourcentage moyen pour les mille premiers coureurs) :
Températures : 6,8 °C à Saint-Étienne/Bouthéon à minuit, 8,9 °C à Lyon/Bron à 7 h et 5,3 °C à 8 h (heures locales). Minimales nocturnes : 3,4 °C à Lyon-Bron et 4,1 °C à Saint-Étienne/Bouthéon.