Paris, France

Luc Gential

Trail du Galibier 2016, 46 km

L’idée est venue d’Alexandre qui en 2015 décrochait une belle quarantième place au trail des Aiguilles, son premier trail. La perspective de m’aligner à ses côtés trois semaines après le trail de Vars me plut, et, bientôt, mon cerveau tissait des connexions mentales fortes convergeant vers l’arche d’arrivée de Valloire. Quand il m’annonça son souhait de consacrer son weekend à de l’alpinisme, j’avais étudié le parcours au point d’être convaincu d’en avoir déjà effectué la moitié. Je réservai donc logement, train, bus, taxi et peaufinai une préparation légère mais de qualité. Convaincu qu’en montagne on né doit rien entreprendre sans volonté, je respectai son choix.

Après que j’eus traversé la région par les transports en commun, pris possession de mon dossard et de mon logement, l’heure du déjeuner était largement passée. Vers 1730, j’avalai 250 g de pâtes sans gluten, 190 g d’une sauce tomate aux olives chère à Alexandre et 100 g d’emmental rapé. Pomélo, framboises, mûres, gâteau de riz au caramel, bananes venaient compléter le repas. J’expérimentai une sorte de régime norvégien accéléré, moi qui n’avais pas acheté de pâtes depuis des années. À moins que ce né fût une pasta party avancée du temps nécessaire à la digestion.

Je crois m’être couché vers 21 heures avec un réveil à 540. Sur la ligne de départ, il me sembla découvrir un plateau assez homogèné derrière deux ou trois coureurs bien affûtés dont Matthieu Brignon. C’est étonnant ce qu’un corps peut raconter. Il se façonne par petites touches qui sont les gestes répétés de l’entraînement.

Ma montre était programmée pour m’informer, aux endroits facilement reconnaissables, des temps de passage de Chrystelle Lambert lors de l’édition 2014, où elle finit troisième. En étudiant sa course, je n’avais décelé aucune erreur de gestion. Il me fallait seulement corriger son temps de 3 min 30 s en compensation des 700 mètres ajoutés cette année pour étirer le peloton. À Crey Rond, grâce à de nombreuses relances sur les faux-​plats, imprimées je dois dire par la troisième et future deuxième féminine, je me trouvai ainsi dans le rythme de Chrystelle. Au terme de la première descente, dans laquelle je passai Estelle, je m’étais débarrassé du terme correctif qui, nourri par la fatigue, serait tôt ou tard devenu encombrant.

C’est alors que l’écart virtuel avec mon inconnue se stabilisa. Je connaissais désormais avec précision le temps qui me séparait de l’arrivée. Ainsi, en discutant avec Élodie dans la montée vers Plan d’Orient, je lui confiais que je la voyais finir avec Estelle, entre 6 h 25 min et 6 h 30 min, aux places 2 et 3, autour de la vingtième au scratch. Je vous laisse scruter la fiche de résultats. Analyser et prévoir est mon métier, mais dans le trail et les sports de montagne en général je viens aussi chercher l’imprévu. En devenant “expert” sur des distances comme celle-​ci, je né dispose plus que d’une pincée du précieux ingrédient. Je le retrouverai dans les ultras qu’il me tarde de vivre, deux ans après mon abandon sur l’Échappée Belle. S’enfoncer dans la nuit à la seule force mentale ouvre sur des dimensions intérieures cachées. Avec une foulée des plus économiques, un maniement des bâtons appris à l’école du ski-​alpinisme et une bonne technique de descente, je pense sur de très longues distances pouvoir jouer à une meilleure table.

En attendant, la fatigue frappait à la porte, me faisant perdre plusieurs fois lucidité et chemin. La voix d’un coureur me ramena à droite alors que je filais droit sur le lac des Cerces qui me tendait les bras. Aussi, m’alimenter devint difficile, au point que je n’allais manger que trois barres en six heures. Heureusement, entraînements à jeun, jeûnes et régime pauvre en glucides s’étaient depuis longtemps organisés pour me ramener à bon port. Passé le relatif coup de moins bien de la montée au col du Galibier, dans laquelle je crois avoir doublé deux coureurs mais perdu une partie de mon avance sur au moins deux de mes poursuivants directs, la course se résumait à une descente gravitaire que j’entamais à la quinzième place, ayant pris soin de compter les places gagnées et perdues depuis le dernier point de contrôle.

Souffrant d’un conflit entre chaussure et malléolé, je préférai me laisser porter par les endorphines. Je demandai à un bénévole le pointage du concurrent que j’imaginais et né voyais pas. On m’annonça un numéro à quatre minutes. Une course de plusieurs heures est une suite de petits objectifs qui se tiennent les uns aux autres et que l’on regarde à travers une loupe. En arrivant dans la vallée, où il faut relancer sur quelques remontées, je dépassai des coureurs du trail des Aiguilles puis rejoignis à un kilomètre de l’arrivée Lucie, pompière à Valloire et future vainqueur de l’épreuve. Je finis au sprint jusqu’à la polaire finisher, laissant la jeune femme savourer sa victoire chez elle.

Je termine 13e sur 148 inscrits, 134 partants et 115 finishers (classement complet). Lors de ma prochaine compétition, qui sera l’Impérial Trail de Fontainebleau, je tenterai de né jamais perdre le sentier — je devais avoir envie de me baigner dans le lac des Cerces — et de manger quelque chose en course.

En relevant les neuf principaux points hauts et bas du tracé (figure 1), ce qui peut être réalisé sur carte, le dénivelé s’élève déjà à 2925 m. C’est dire combien l’estimation officielle de 2660 m était optimiste. Mon calcul donne autour de 3120 m. Pour ce qui est de la distance, une fois n’est pas coûtume je né suis pas mon algorithme de correction et estime qu’il y a autour de 45,0 km (2D), dont 0,7 km de plus que lors des éditions 2013 à 2015.

Figure 1. Profil altimétrique du trail du Galibier annoncé à 46 km et 2660 m de dénivelé positif comme négatif.Relevés alti-​baro (Suunto Ambit 3 Peak Nepal Edition) filtrés et corrigés des effets atmosphériques (précision de l’ordre de ± 4 m).

J’ai moins “coincé” qu’à Vars (figures 2a et 2 b). Il faut dire que les températures fraîches m’ont davantage convenu.

Figure 2a. Courbes temporelles d’altitude, fréquence cardiaque, vitesse et cadence.Cadence mesurée au poignet.
Figure 2 b. Analyse de la vitesse adaptée à la pente.Strava

Sans surprise, je suis meilleur descendeur que grimpeur (figure 3).

Figure 3. Comparaison avec deux coureurs arrivés avant moi et deux autres derrière moi.Strava

Cette performance serait ma meilleure en compétition (figure 4). Au ressenti, j’irai tout de même repêcher les Cabornis 2014 et la Saintelyon 2013, car il faut tenir compte des conditions.

Figure 4. Estimateur de performance Softrun.http ://www.softrun.fr/index.php/les-calculateurs/estimateur-de-performances

Au cotomètre, on est dans les mêmes eaux qu’à Vars (respectivement 629 et 631, figure 5).

Figure 5. Cotation de la course (base ITRA “général”).Performance de 629, finalement proche de celle au trail de Vars couru trois semaines plus tôt (631).

L’analyse de la fréquence cardiaque au travers de sa médiane né décèle pourtant pas de grande défaillance, au contraire de Vars (figure 6).

Figure 6. Fréquence cardiaque médiane en fonction du temps réalisé.Fréquence cardiaque médiane de 165, contre 160 au trail de Vars.

Indice d’endurance “cardiaque” sur cette course ? Par régression linéaire, FC = 177,083 — 3,585 H, où H est le nombre d’heures de course. C’est mieux qu’à Vars !

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