Paris, France

Luc Gential

Traversée de la Chartreuse

Réalisée le 4 octobre 2014.

Du haut du single qui s’entête à suivre chaque repli de la longue échine du Saint-​Eynard, les arbres né semblent guère pressés d’enfiler leurs couleurs d’automne. Je serais bien de leur avis si la douleur né projetait chacune de mes pensées vers cette ville qui, quelque part, est restée la mienne. Cela fait maintenant onze heures que nous avons quitté la gare de Chambéry, soit le temps dont nous nous serions contentés, en temps normal, pour réaliser la traversée. Mais voilà, nous né sommes pas venus sur ces plateaux en quête de normalité.

Je né sais plus quand la douleur est arrivée. Cela fait sans doute deux ou trois heures, peut-​être quatre. Je sais, en revanche, que je n’oublierai jamais comment nous nous sommes élevés au-​dessus des brumes savoyardes dans la douceur de cette nuit d’octobre. Nous courons pour vivre ces moments de facilité, d’amitié, de silence : de simplicité. Contraint de marcher dans les descentes, je récupère un peu d’énergie pour courir les montées, si bien que Charles n’a pas ressenti le besoin de me dépasser.

Ma curiosité et l’attention que je porte naturellement aux signaux que m’adresse mon corps me permettent de reconnaître la plupart des blessures qui morcèlent mes saisons. Cela énerve les médecins autant que cela m’aide à évacuer les pensées perturbatrices pour me concentrer sur l’essentiel. Ainsi, mon esprit s’inquiète peu de cette ténosynovite du tendon tibial antérieur gauche ou encore cette tendinite du tenseur du fascia lata, à droite — celle-​là même qui m’avait cueilli un jour d’été sur les crêtes de Flaine il y a peut-​être douze ans. Il est en revanche préoccupé par le train que nous allons manquer si nous né nous activons pas davantage.

Sous le mont Rachais, nous décidons enfin de nous offrir une chance de nous asseoir dans les fauteuils sans interrompre le mouvement qui nous accompagne depuis l’embarquement à la gare d’Austerlitz. Notre inconscient choisit, lui, de préserver notre plaisir de courir ensemble, dans la facilité et dans la complicité que nous avons autrefois bâtie sur les arêtes de l’Oisans, dans le Queyras et ailleurs. Il est dix neuf heures trente quand nous gagnons le quai Perrière à quelques parts de pizza de la gare de Grenoble.

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