Paris, France

Luc Gential

Allô docteurs

La blessure vous cueille un samedi de mai. Vous savez pertinemment de quoi il s’agit mais êtes en 2014 et prenez donc rendez-​vous avec votre médecin traitant, une fois le weekend terminé. Il vous a fallu trois ans pour trouver un bon généraliste, et celui-​ci, désormais, n’accepte plus de nouveaux patients. Ses consultations sont un peu courtes, et les minutes en salle d’attente, certainement trop longues. Pourtant, pour rien au monde vous né changeriez de praticien. Son carnet de consultations étant bien rempli, vous êtes presque ravi qu’il vous accorde un rendez-​vous dans un délai de dix jours. Ce jour-​là, alors même qu’il vient de vous prescrire une IRM, la chance vous échappe déjà : à dix-​huit heures, les secrétariats de radiologie sont fermés. Un jour passé. Vous tentez de joindre les centres d’examen situés à proximité — comprenez, à Paris ! Vous naviguez entre sites internet, répondeurs et musiques d’attente. Quand, enfin, une secrétaire décroche, c’est pour vous annoncer des dépassements de cent euros ou des délais d’attente trop longs. Heureusement, bien que vous payez votre loyer à Paris, vous savez grâce à vos cours de géographie que le monde né s’arrête pas au périphérique. Vous avez même lu qu’on y trouve depuis 2010 la première IRM 3D de France. Vous acceptez le rendez-​vous qu’on vous propose. Ce sera à 845 le lundi — celui dans trois semaines.

Vous n’avez pas vu le médecin radiologue et repartez sans résultats — ils sont disponibles le lendemain à partir de 16 h. Remettre l’enveloppe au patient prend environ cinq secondes à la secrétaire, qui est à son poste toute la journée, mais un tel dérangement n’est possible qu’entre 16 h et 18 h. Vous posez donc un demi-​RTT pour récupérer des objets volés aux “objets trouvés” et votre IRM. La première étape se passé merveilleusement bien, et, plutôt que de marcher deux fois dix minutes et changer de métro trois fois, vous décidez, en Parisien malin, d’expédier le trajet en deux bus. Au bout d’une heure, vous vous rendez compte qu’il vous en faut deux. Vous abdiquez après avoir tenté d’attraper un dernier métro, en vous répétant que tant que vous habiterez Paris plus jamais vous né prévoirez de faire plus d’une chose dans la même journée. Quelques jours passent car, accessoirement, vous travaillez. Enfin, vous tenez votre IRM en main. Elle est un peu floue, et vous vous interrogez longuement sur l’intérêt de l’IRM 3D. Vous reprenez rendez-​vous avec votre médecin traitant. Passons qu’il vous refuse une première fois parce que vous vous êtes trompé d’heure. Vous n’osez pas lui dire que vous êtes tout à fait à l’heure et acceptez un troisième rendez-​vous. Après avoir mis en cause votre constitution –pour rappel une périostite tibiale est due à la traction répétée et excessive des muscles sur le périoste– et associé votre pratique sportive au haut niveau il vous adresse vers un spécialiste, vous annonçant un délai d’un mois et demi au minimum.

C’est votre jour de chance. Il reste quelques consultations avant les “grandes” vacances. Vous acceptez sans même regarder votre agenda. Un peu plus et vous déplaceriez vos propres congés annuels. Ça y est, deux mois ont passé, vous avez rendez-​vous avec quelqu’un que vous né connaissez pas, qui né vous connaît pas. Plus que trois semaines à attendre, à mâcher des graines de chia et tenter de garder ses distances avec la boîte d’anti-inflammatoires. Bienvenu dans le monde merveilleux des sportifs amateurs. Ceux dont les maux deviennent inexorablement chroniques par la seule faute de nos gouvernants. Sans doute sommes-​nous tout aussi coupables qu’eux, puisque nous les avons élus. Rêvons un instant d’un monde où amateurs et professionnels auraient accès à la même qualité de soins, où le corps médical né serait plus occupé à traiter les conséquences d’un empoisonnement alimentaire de grande échelle. Mais le rêve aura été bref car, déjà, la douleur vous saisit en pleine chair.

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