Paris, France

Luc Gential

Un jour à Paris

"Nom, prénom! bafouilla l'agent.
- Pardon? Luc Gential.
- Non! Pas Luc Gential. Gential Luc." Voilà comment a commencé ma journée. Ou plutôt, comment elle reprenait.

Deux heures plus tôt, je venais de franchir les portiques du RER en gare de Denfert-Rochereau quand une ombre s'est portée à ma hauteur. Dans le silence d'un couloir où il n'y avait que moi, elle est parvenue à ouvrir ma sacoche alors que je remontais l'escalier en faisant virevolter ma valisette dans l'agitation des matins pressés, et est partie avec tout ce que ma vie pouvait comporter en chiffres inutiles. Je n'ai fait qu'entendre son pas derrière le coude de l'escalier, un pas qui venait de ma direction et que je n'avais pas croisé. Un pas précipité qui trahissait la fuite. Ma sacoche était ouverte alors que je me souvenais l'avoir refermée quelques minutes plus tôt. Je m'imaginai la scène telle qu'avait dû l'enregistrer l'imposante caméra de surveillance. La suite, je la connaissais. Et quand bien même ce n'eût pas été le cas, je me serais rappelé que les gens dits pessimistes sont mieux armés que les autres pour faire face aux situations difficiles.

Que sommes-nous quand il ne nous est plus possible de prouver notre identité face aux gens qui nous gouvernent, ou gouvernent notre argent? Comment réagiriez-vous si votre banquière, que, par manque de temps ou d'argent, vous n'avez jamais rencontrée depuis sa (récente) prise de fonction, vous posait toute sorte de questions personnelles tout en appelant discrètement votre portable? Elle, précisément, qui sait tout de vos habitudes sans pour autant parvenir à vous distinguer des autres personnes. Peut-être vous sentiriez-vous libre, curieusement, et enfin vous-même, débarrassé temporairement du matricule que la société vous a attribué sans vous demander votre avis - éventuellement une somme d'argent. Dans mon cas, je n'avais rien d'autre à offrir que la vérité et de la bienveillance à l'égard de cette jeune femme qui ne cherchait finalement qu'à protéger mon argent.

En regagnant mon lieu de travail parisien, alors que j'aurais dû être présent à Londres, je croisai le chemin de ce vagabond faisant la manche dans les wagons du métro. Ce sans-abri qui demandait précisément ce que je n'avais pas. Un SDF à qui la société avait tout de même laissé un acronyme, sorte de matricule générique servant à désigner ceux qu'elle n'était pas arrivée à domestiquer.

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