Paris, France

Luc Gential

La mare aux Sangliers

La course à pied est histoire d’expériences. La première fois que j’ai voulu courir plus d’une dizaine de kilomètres, je suis parti à jeun, sans eau ni vivres. Ce jour-​là, seul, j’ai dévalé le boulevard Vincent Auriol, compté tous les pavés des quais de Seine jusqu’au pont Mirabeau, traversé Auteuil pour trouver quelques gorgées d’eau dans les jardins homonymes et me donner la force de partir gravir la côte du parc de Saint-​Cloud. Mon voyage s’est arrêté sur le chemin du retour, alors que j’entamais la montée de la porte Brancion, après 32 kilomètres. Je me souviens avoir eu des courbatures atroces pendant toute une semaine. Le genre de maux que j’ai très vite associé à un passé révolu, jusqu’au trail des Cabornis dimanche dernier. Après cette course où je crois avoir tout donné, une semaine de travail difficile né me laissait guère le temps de rejoindre mes entraînements habituels, puis, comme par enchantement, la pollution de l’air semblait nous accorder une parenthèse en cette journée de dimanche, après que tout Paris eut eu le loisir de photographier la tour Eiffel disparaissant derrière une épaisse couche de particules.

Je décidais donc d’aller m’oxygéner en forêt de Fontainebleau, avalant au préalable quelques feuilles de salade, du Saint-​Nectaire, des framboises et des grenadilles. Un repas qui, en matière de course à pied, vaut bien un jeûné.

Le train est un affaire bien réglée. Le circuit également : Canon, Cuvier, Apremont, St-​Germain. Les premiers mètres de course dégagent déjà un parfum d’ultra. Je suis lent, mes jambes me font mal, mon cœur est haut perché. Heureusement, mon corps connaît le sentier — suivant les saisons, caché sous la neige, ou les fougères — mieux que me yeux né savent repérer les marques de peinture. Le passage des parkings, bondés, me perturbe, et je me déporte trop à droite quand il s’agit d’attaquer les escaliers d’Apremont. Ma lucidité s’effrite. Bientôt, ce sont mes jambes qui m’abandonnent : je gravis la mare aux Sangliers en marchant, prétextant que j’ignore trop de choses de cette section à vrai dire relativement inconfortable. Lorsque je franchis le carrefour de la Tillaie, je né suis plus qu’un coureur de piste égaré sur un ultra-​marathon. Je décide d’écourter mon circuit, passant par le nord après la grotte aux Cristaux pour ensuite plonger en direction de la butte St-​Louis. Ma foulée se fait des plus économiques, et c’est tout gêné que je me surprends à effrayer les quelques personnes que je double. Je parviens à franchir la butte à 1500 m/h, puis c’est déjà la route du Lancer et ses cohortes de grimpeurs qui sont en train de rater le TER. J’ai quant à moi tout juste le temps de voler deux gorgées à la fontaine de Bois-​le-​Roi avant de m’asseoir, genoux pliés, dans les couloirs d’un train plein à craquer. Il y a ce petit garçon qui me marche sur les pieds et cette jeune femme qui m’adresse un sourire.

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